Traverser un burn-out

Burn-out : l’éjection d’un chemin tout tracé

J’entame aujourd’hui une série d’articles / témoignage sur mon burn-out avec trois ans de recul sur cette période. J’ai le sentiment qu’un cycle se termine, et je trouvais intéressant de me retourner sur le chemin parcouru depuis. Le regard que je pose sur les trois années qui viennent de s’écouler est, tour à tour, ému, fier, plein de compassion ou encore parfois un peu découragé de tout le chemin qu’il me reste à parcourir. J’ai eu envie de reprendre la plume pour vous embarquer avec moi dans cette traversée de trois années post burn-out où s’entremêlent souvenirs encore vivaces et prises de recul. En route ! 

Cet article fait partie d’une série où je témoigne de mon burn-out lorsque c’est arrivé, puis un an, deux ans et trois ans après.

Burn-out : mon témoignage

Quand le corps nous parle

Il y a 3 ans, j’ai vécu une descente aux enfers comme je ne l’aurais jamais cru possible, que j’ai déjà raconté à chaud quelques mois après. Essayer de m’en souvenir aujourd’hui c’est comme plonger dans un trou noir. Je n’arrive plus vraiment moi-même à nommer cette angoisse qui me serrait le coeur. Comment l’écrire alors, comment la raconter ? 

Je pourrais parler de la déchéance du corps. Le sommeil qui s’en va brutalement sans crier gare, les larmes, l’estomac qui se serre, se révulse, refuse toute nourriture. L’impression qu’on me frappe quand le réveil sonne après une énième nuit blanche. La terreur de ce qui m’arrive, mon monde qui s’écroule et moi qui tente vainement de le maintenir à mains nues dans une incompréhension totale. Le cerveau qui ne fonctionne plus qu’en mode survie : se lever, marcher jusqu’au travail en sanglotant dans la rue. Puis arriver au bureau, se composer un visage qui peu à peu ne convainc plus personne et s’asseoir à cette chaise de bureau pour faire semblant un jour de plus. Surtout tenir, maintenir, ça va passer. Et tant pis si je dépense l’énergie que je n’ai pas dans cette bataille du paraître. Il n’existe aucun monde dans lequel je peux accepter de dire au monde que je n’y arrive plus, que ça ne va pas. 

Les mécanismes implacables du burn-out

Pourquoi est-ce que je fonctionne comme ça, qu’est ce qui m’empêche de lâcher ? C’est la question qui tourne en boucle dans mon esprit pendant cette période. J’ai nourri sans le savoir toute ma vie une croyance qui est en train de me foutre en l’air. Quand on veut on peut – tout est question de volonté. J’ai mis toute ma volonté dans mes études, j’ai adoré ça et désormais me voilà en CDI, avec un bon poste, dans une grande entreprise. Ces choix résultent d’un alignement avec ce que je crois être ma valeur numéro une à l’époque : la sécurité. A ce moment là, je sens grandir une dissonance en moi. Je travaille beaucoup, dans une ambiance peu chaleureuse, et une petite voix dans ma tête murmure, de plus en plus fort. “Mais pourquoi tu fais ça ? ça ne t’intéresse même pas”. Ce n’est pas une question bienvenue, je la rejette. Car elle entraîne avec elle une vague terrifiante d’autres questions : “si je ne fais plus ça, que vais-je faire alors ? Et avec quelle légitimité ? Et quel argent ? C’est impossible…” 

Pourtant, à force de ne pas écouter cette voix, je ne me sens plus du tout en sécurité dans ma vie. J’ai le sentiment d’être lancée sur la piste de ski d’une vie parfaite qui ne me convient plus. Tout à coup ça va beaucoup trop vite, beaucoup trop fort. Je sais que je vais tomber mais je ne peux plus m’arrêter. Il est trop tard. Je refuse l’idée d’être éjectée dans le décor, je m’accroche comme une dingue et mon hurlement de peur se fait silencieux. 

Pendant cet automne là, je suis en résistance comme je l’ai si souvent été inconsciemment dans ma vie. Je serre les dents, je bande les muscles : “tu peux tenir. Ça va passer.” C’est en tout cas ce que je me répète en boucle pendant des semaines. Accroche toi, ne dis rien, ravale tes larmes, ça va passer. Bon petit soldat. 

La descente aux enfers

Oui, mais ça ne passe pas. Alors je consulte un médecin. Quand j’ouvre la bouche dans son cabinet, c’est un raz de marée d’angoisse qui sort. Je n’arrive plus à respirer à travers mes larmes. Il me convainc d’accepter un arrêt d’une semaine, je dois juger qu’une semaine d’absence c’est acceptable, je dis oui. Et me voila, âme en peine sur son canapé, boule d’angoisse, à me sentir inutile, vide. L’adrénaline bat dans mes tempes, je ne supporte littéralement pas d’être seule avec moi-même. Alors après une semaine j’y retourne, brave petit soldat au cerveau et aux jambes en coton. Je ne dors toujours pas mais je suis là. 

Au bureau, le moindre geste d’humanité provoque un effondrement. Il suffit d’une main sur l’épaule, d’un “ça va” les yeux dans les yeux et et les larmes affleurent. Je crois donner le change mais je réaliserai plus tard qu’il n’en est rien, que les yeux des autres se sont déjà remplis de compassion et de peur quand ils me regardent. Ils ont peur pour moi, je suis pâle, amaigrie, méconnaissable. Je ne comprends plus rien à ce qu’ils me disent, à ce qu’on attend de moi. 

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La sonnette d’alarme

Je sens que j’ai besoin d’aide, je tire alors la sonnette d’alarme auprès d’un psychologue puis d’un psychiatre. Pendant deux mois, je cumule désormais travail et allers/retours dans un cabinet lointain où je déverse mon angoisse dévorante comme la bile noire de mon âme. Je supplie le médecin de ne pas m’arrêter, de ne pas faire s’effondrer le beau château de cartes que j’ai construit. Quand j’envisage de ne plus y retourner, le sentiment de honte me brûle le visage.  Je me dis que je n’y survivrais pas. Et en même temps je survis de moins en moins à ce quotidien qui me dévore, jusqu’à ce que le médecin à qui je confie mes plus noires pensées me dise : vous savez, si vous êtes morte, vous ne pourrez plus aller au travail. “Ah. Mince. Les pauvres…” Voilà ma première pensée. 

Une semaine avant Noël, je rends les armes à bout de souffle. Je suis arrêtée et je tremble d’envoyer à mon employeur ce foutu papier. Le soir même, pourtant, je dors huit heures d’affilée. Ça ne m’était pas arrivé depuis quatre mois malgré tous les traitements. Je suis ébahie, je me prends naïvement à croire que tout est résolu. Il me faudra pourtant encore y retourner pour comprendre. Trois semaines plus tard, je suis au bureau, chancelant encore sur mes jambes et dans mon cœur mais l’esprit vaillant. Là- bas, mon instinct se réveille. Je comprends dans mon corps, avec une conscience aiguë, que si je m’assois à cette chaise et que je repars dans mon tourbillon, cette fois je ne m’en relèverai pas. C’est la fin de l’acte, je prends discrètement mes affaires et cette fois je sais que je ne reviendrai jamais. 

Un burn-out… et après ? 

Les mois qui suivent sont comme suspendus. J’ai besoin d’un temps infini pour réaliser, digérer, aller mieux. Je pense sans cesse à toutes ces années d’études puis de travail en marketing alors que ça ne m’a jamais réellement intéressé.  Je me sens terriblement coupable d’avoir envie de ranger tout ça au placard du passé. Ce que je ne vois pas à ce moment-là, c’est que je sais faire plein de trucs qui me serviront dans d’autres contextes, que je peux encore apprendre des milliers de nouvelles choses, que la vie est longue et bien moins prévisible qu’on ne le croit. 

Accepter de ralentir

Je tente de combler mon nouveau temps trop libre par des activités (je suis bénévole dans une association, je propose à une amie de l’aider à lancer son projet, je me renseigne pour reprendre des études…). Sans le voir je repars dans une boulimie d’action, et contre toute attente le confinement vient à mon secours. Soudain c’est le vide, et ce vide me sauve. Appuyée sur deux solides piliers que sont la thérapie et les médicaments (je le dis ouvertement car je sais combien cela peut faire peur, mais bien accompagné cela peut vraiment sauver), je commence timidement à aller mieux.  Je trouve mon vrai rythme de sommeil, j’écris, je lis, j’adopte un chat. Moi, la sociale, l’active, l’énergique, je m’apaise enfin dans mon cocon. Je découvre, pour la première fois de ma vie, que je suis créative. Je lance un compte de recettes de cuisine, je suis mes envies. C’est alors que je prends conscience que j’ai des idées, que je sais faire même quand personne ne me dit quoi faire. Je cuisine tous les jours, je déborde d’idées, je me sens libre et apaisée. En vie.  

Tout n’est pas rose pour autant dans les mois qui suivent mon arrêt : je suis très fatiguée et je rêve depuis un an d’un bébé qui ne vient pas. La tempête burn-out m’aura volé la joie d’une maternité surprise, légère et joyeuse. Je n’ai plus de cycles, mon corps est en sommeil et moi je suis terriblement en colère. 

Témoigner pour réparer

Alors je commence à écrire, à tenter mettre des mots sur ce que je viens de vivre. Au début de l’été je décide de partager ces mots ici. Pour qu’ils trouvent un écho. Car si je sais désormais que je suis loin d’être la seule à traverser le désert du burn-out et de la dépression, je n’ai encore pas rencontré de gens qui m’ont parlé librement de leur propre vécu. Nous sommes en juin 2020, on ne parle pas encore de santé mentale avec la même liberté qu’aujourd’hui.

Et pour partager

Je publie mon premier article de témoignage et dans les jours qui suivent vos réactions sont là, nombreuses, intenses, émouvantes. Des proches, des moins proches, des inconnus me confient leur histoire, celle de leurs parents, conjoints, frères, amis. Je découvre le pouvoir de la connexion et de la vulnérabilité : j’ai confié ma peine et je reçois en retour plusieurs centaines de confidences qui entrent en résonance avec mon vécu. Je ne pensais pas que nous puissions être si nombreux à traverser ces crises de sens, à se sentir si vidés, si angoissés et si perdus. Certains, qui sentent que je comprends ce qu’ils vivent, me demandent de les aider. Je me sens impuissante lorsque je reçois ces demandes, mais j’ai une certitude : d’une manière ou d’une autre, j’ai envie de saisir ces mains tendues vers moi et de leur apporter un peu de réconfort. 

J’écris de plus en plus, je laisse déferler hors de moi ces mots qui tournoyaient depuis longtemps. Je choisis de rassembler ces témoignages en un même lieu, ce blog, que j’appelle “un cadeau mal emballé”. Une formule qui est venue résonner à mes oreilles comme un présage de beaux lendemains après la noirceur. J’en ai immédiatement aimé la douce promesse, même s’il était encore un peu tôt pour que j’y crois vraiment. 

 

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1 thought on “Burn-out : l’éjection d’un chemin tout tracé”

  1. Bonjour
    J’ai vécu un burn-out en mars 2019 avec pratiquement un an d’arrêt. Je me reconnais dans ce que vous décrivez parfaitement bien. Moi aussi, mon mantra était « quand on veut, on peut mais uniquement envers moi-même. La coach qui m’a suivie m’a dit que c’était la phrase à bannir, celle qui mène au burn-out. Je ne l’utilise plus 😜

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